Will se réveilla des suites d’un long sommeil sans rêve. Allongée dans un lit
de modeste qualité, son étonnement acheva sa sortie du monde des songes. La
chambre dans laquelle elle se trouvait n’était dotée que d’un lit, d’un chevet,
et d’une table. Cela devait être la chambre d’une auberge. Les murs en bois
était correctement isolés et la chaleur y était agréable. Aucune fenêtre ne lui
permettait de déterminer s’il faisait jour, ou nuit. Une bougie était allumée juste à côté d’elle
sur le chevet, la cire avait coulée, sur le bois abîmé, preuve d’un long moment
passé. Elle se rappela alors les évènements récents, et les souvenirs
réveillèrent la douleur. Elle remarqua avec une lenteur déconcertante ses bras
couverts de bandage et l’odeur de baume apaisant à la fleur de phénix. Étrangement la souffrance semblait lointaine. Will en déduisit qu’on l’avait
sans doute surchargée de calmants ou autres anesthésiants. La mort l’avait
frôlée de si près… Des larmes chaudes
roulèrent sur ses joues. Sa tueuse l’avait sauvée de son propre suicide. La
dernière ombre… Elle se posait tant de question à son sujet. Elle qui devait tuer si souvent, elle l’avait
sauvée. Comment cela était-il possible ? Sûrement une défaillance de sa part…
Et quand elle se rendrait compte de son erreur, elle reviendrait la tuer. Elle
songea alors à s’enfuir, mais elle n’avait nul endroit où se réfugier. La seule
personne qu’elle adorait avait engagé quelqu’un pour la tuer. Elle n’avait plus
rien. Elle voulait pleurer, hurler, mais elle se sentait tellement fatiguée
qu’elle n’en fit rien. Des conversations s’échappaient de derrière la grande porte qui lui faisait
face. Elle parvenait à écouter, mais pas à comprendre. Elle repensait au regard
inquiet qu’elle avait vu sur Eliwan juste avant de s’évanouir. C’était elle qui
avait dû l’emmener ici. Elles avaient sautées d’une fenêtre, et Eliwan avait
atterrie la première, sur le dos. Comment avait-elle put survivre sans se
briser la colonne vertébrale… L’inquiétude la gagna, entrainant de la surprise.
Etait-elle indemne ? Blessée ? Pourquoi diable la victime se faisait elle du
souci pour son bourreau ?
La porte s’ouvrit, mettant fin à ses questions. Un
jeune homme brun de peau entra. Ses yeux étaient si clairs, qu’on eut dit
qu’ils étaient aveugles. Reflet de ses cheveux longs, d’un blanc immaculé, la
peur se lisait dans le regard qu’ils offraient. Le contraste ainsi formé lui
donnait des allures fantomatiques. Il était vêtu d’un simple pantalon et d’une
tunique ouverte sur la pilosité de son torse, blanche elle aussi. Il resta dans
l’encadrement de la porte en voyant que Will était réveillé. Il ouvrit la
bouche, mais avant qu’il ne puisse prononcer le moindre mot, il fut bousculé
par une femme beaucoup plus petite que lui en taille, mais bien plus dangereuse
: Eliwan. Elle se planta entre l’homme et le lit. Sa posture était déterminée
et sûre d’elle. Elle portait un pantalon de cuir noir, accompagné d’un corset
de la même couleur. Sa peau pâle avait pourtant un grain doré, comme les peaux
mattes restées trop de temps dans l’obscurité.
Will aurait voulu avoir peur, mais elle était ébahit par la jeune femme
androgyne. Ses cheveux courts, coupés grossièrement sans doute dans le but de
ne pas gêner ses manipulations lui donnaient un côté sauvage et hostile. Sa
bouche rose comme une grenade ouverte semblait figée en un rictus froid et
manipulateur. Will imaginait quelles épreuves avaient bien pu sculpter une
telle expression et un tel regard sur ce visage si beau. Les yeux d’Eliwan
étaient d’une couleur chaude qui aurait pu invoquer la bienveillance et la
protection, pourtant ils ne montraient que de la glace, comme le paysage gelé
que Will avait l’habitude de voir chaque matin.
La jeune femme aboya un ordre
inintelligible pour Will, qui était encore sous l’effet des sédatifs. L’homme,
dont la peur était évidente s’approcha du lit, les mains en évidence, afin de
ne pas effrayer la blessée. Will réagit à peine, toute son intention était
fixée sur la tueuse. Celle-ci était restée en retrait mais observait avec
intention le moindre mouvement de l’homme. Il était un médecin, sans doute
avait-il une dette envers Eliwan, pour lui obéir comme cela. Il entreprit de
retirer les bandages de Will pour regarder les blessures. Ses gestes tout comme
son regard était doux, et sa voix rassurante.
-Les… ures… voie de guérison, elle… pas en danger. C’est tout ce qu’elle
comprit de la phrase qui avait accompagné le grand sourire du médecin. La voix
plus grave et plus froide d’Eliwan lui répondit :
-… arfait. Quand… ra-t-elle guérie ?
-Elle… ra des cicatrices, …ais elle pourra… tôt réutiliser … bras normalement.
Elle … sous anesthésie, elle … a se réveiller
lentement, et … douleur se revei… ra aussi. Il y a des … almants sur …
table.
Eliwan acquiesça en silence. Elle désigna la porte du regard et le médecin
s’empressa de s’en aller. Will fut apeurée par son départ, sa présence la
rassurait. Elle sursauta quand la tueuse s’approcha d’elle. Cette dernière
remarqua le mouvement de recul de sa protégée et afficha pendant quelques
instants un air peiné.
-Tu me craignais à peine quand je suis venue te tuer, et après t’avoir sauvé,
guérie, tu sembles apeurée au plus haut point. Son air dubitatif était amusant,
le coin de sa lèvre s’était relevé tout comme son sourcil. Will voulu répondre,
mais sa langue semblait peser une tonne dans sa bouche, et seuls quelques mots
se firent entendre :
- Où ? Quand ? La tueuse eu une ébauche de sourire.
-Nous sommes dans une taverne, à deux heures de cheval de ce qui était ta
maison… Et tu as dormi une journée entière. Elle ne fut pas étonnée, elle avait
l’impression d’avoir dormi un siècle. Eliwan reprit :
-Je vais devoir partir cette nuit, le médecin t’aidera à bien te rétablir, et
tu pourras partir à ton tour. Un nouveau sursaut agita les frêles épaules de
Will.
-Mais… Je ne peux aller nulle part…
-Tu as un frère.
Un éclat de rire lui répondit. Animée d’un profond dégoût, la blessée c’était redressé
et se tenait droite.
-Pour qu’il me tue de ses propres mains ? Oui, vous me sauvez pour me
renvoyer à la mort.
-Que veux-tu que je fasse ? Tu as beaucoup de chance d’être en vie. Dans
ce cas, tu devras changer d’identité et vivre ta propre vie.
-Changer d’identité ? Eliwan se rapprocha et s’assit au pied du lit. Elle
soupira puis répondit :
-Ton nom, Will, est celui que je devais offrir à la mort. J’ai refusé ce décès,
alors la mort m’en veut. Alors que si tu
changes d’identité, cela serait comme la mort de Will, et la renaissance d’une nouvelle personne. Ce serait une sorte
de pardon, de compensation. De plus garder un prénom offert à la mort te
porterait malheur. Je me suis chargée d’une lourde dette en t’épargnant.
-La mort… Est-ce la déesse que vous vénérez ?
-Oui. Une réponse simple, sans appel.
-C’est car vous êtes un assassin, c’est ça ?
-Si on veut, oui. Les vies que je prends je les offre à la grande mère pour
assurer le salut de mon âme, et celle de ceux que j’ai tué. Je suis une tueuse,
mais je ne désire par l’errance éternelle pour mes victimes.
-Et c’est cela qui vous menace ? L’errance éternelle si vous ne comblez
pas un contrat ?
-Oui. J’ai fais le contrat de tenir chaque promesse de crime. Quand je passe un
accord de meurtre, je promets d’offrir une âme à la mort, en échange, celle-ci
sera pardonnée de ses péchés et se verra offrir le salut. Tout comme je serais
pardonnée de mes crimes. Je ne suis pas encore assez avancée dans le chemin de
la mort pour juger moi-même mes victimes, mais quand je le pourrais, je
condamnerais ceux qui le méritent.
Will en resta bouche bée. La dernière ombre prenait tout son sens : la
dernière ombre avant la mort. La dernière ombre, promesse d’une non-errance
dans les ténèbres.
-Cela veut dire que c’est ce que vous risquez si je ne meurs pas ?-Oui.
-Combien d’âmes sont en jeu ?
Il y eu un long silence, lourd de sens.
-Combien ? Insista-t-elle.
-Environ quatre cents.
Will ferma les yeux. Quatre cents âmes condamnées par sa faute. Elle ne pouvait pas se le permettre.
-Non… Ma vie ne vaut pas autant d’âme…
Dit-elle, la respiration saccadée par des pleurs silencieux. Je ne peux
pas vivre avec le châtiment éternel de ces gens sur le dos. Et si je
mourrais ?
Eliwan regardait la fille, triste. Pourrait-elle abattre la fille après l’avoir
sauver ? Non, elle en doutait sérieusement.
-Je ne veux pas que tu meurs. Avoua-t-elle.
Will se calma instantanément. Ce fut à son tour d’être prise de compassion,
cette déclaration l’avait beaucoup touchée, et quand elle répondit, sa voix
avait perdu sa panique, et s’était adoucie :
-Tu as une autre solution ?
La dernière ombre avait remarqué le passage au tutoiement, et s’en réjouît
intérieurement, sans vraiment savoir pourquoi.
Elle se leva et tandis que le regard de Will lui réchauffait la nuque et
la confinait dans une impression de tendresse, elle prit une des fioles sur la
table en prenant son temps, dans le but de préparer sa réponse. Devait-elle lui
dire ? Si oui, accepterait-elle ? Et enfin, si oui, y survivrait-elle ?
Cette fille la faisait entrer dans une confusion qu’elle avait rarement ou
peut-être jamais éprouver. C’est en revenant qu’elle tenta de formuler une
réponse modérée :
-Si la proie tient à la vie, et que son assassin accepte, elle peut invoquer
son droit d’échange. C’est-à-dire, qu’elle s’engage à tuer elle-même la personne
avec qui le tueur a passé le contrat. Mais rares sont ceux à connaître ce
droit. Donc…
-Il faudrait que j’assassine mon propre frère, finit-elle.
-Oui. Mais tu n’es pas obligée de t’imposer cela. Je t’offre la vie, donc c’est
ton choix.
Assise sur le lit, le regard de la blessée c’était fait distant.
-D’accord, dit-elle d’une voix vide. Eliwan s’en voulait. Elle s’en voulait d’avoir
épargné cette fille, de ne pas avoir mis fin à ses tourments. Elle qui avait l’air
si fragile, comment pouvait-elle supporter de vivre en condamnant des centaines
d’âmes ou en tuant son frère ?
-Tiens, bois ça, ça va te rendormir et accélérer ta guérison. Dit-elle en tendant le remède à sa protégée.
-Et toi ? Répondit-elle en prenant la fiole avec suspections.
-Je vais devoir partir.
-Non ! Reste ! Je t’en prie !
Eliwan posa avec incertitude sa main sur celle de Will, et ce contact, bien que
léger et rapide l’ébranla toute entière. Elle parvînt à la convaincre de boire
le contenue de la fiole par ce simple geste et le regard qui l’accompagnait. En
la voyant faire, la décision ne lui appartenait plus, c’était un sentiment
complexe et inconnu qui la poussait à répondre :
-D’accord, je reste.
Sa main agrippée à celle de sa sauveuse, Will s’enfonça peu à peu dans son matelas.
Quand le noir l’emmena à nouveau, elle n’avait plus peur, plus mal. Elle était
rassurée, confiante, et sereine.
~
La suite est tout aussi intéressante que le premier chapitre XD.
RépondreSupprimerL'amitié qui veut n'être entre Ewilan et Will promet d'être beau. J'ai hâte de voir la suit ^^.