Le ciel était aussi blanc que la neige, si bien qu’il était impossible
de discerner le moindre astre. De ce fait, Eliwan, était incapable de deviner l’heure qu'il était.
Mais cela importait guère, elle était patiente. La nuit avait laissé place
au jour depuis un long moment déjà, et Eliwan s’était tenue immobile tout ce
temps-là. Elle avait escaladé un simple bâtiment de pierre sans difficulté
malgré le gel. Et trouvant que l’angle de vue était parfait, elle s’était
accroupie sur cette corniche étroite.
Le froid était mordant. Elle n'en laissait rien paraître. En face d’elle, légèrement en contrebas, une bâtisse
luxueuse se dressait malgré le poids du blizzard. C’était
la demeure de sa proie. Cela faisait plusieurs jours qu’elle l’observait,
attendant le moment propice. Son client, très proche de son argent, ne lui
avait donné qu’une somme minable, elle s’estimait donc en droit de prendre tout
son temps.
Posée comme cela dans le froid, elle semblait figée, comme une statue de
marbre. Ses cheveux coupés courts agités par le vent, étaient la seule
preuve de la vie qui l’animait. Elle n’aimait pas Torkol, le climat y était
bien trop insupportable, ce paysage endormi sous tout ce blanc la forçait à
mettre une cape de fourrure couleur neige par-dessus ces vêtements noirs. Mais
elle n’avait pas le choix, elle devait passer inaperçue. Dans cette mission, elle était seule, son
maître s’était rendu à Pandemonium afin de rendre visite à sa fille. Elle
aimait aussi travailler en solitaire, et de toute façon, elle s’en sortait très
bien. Elle était la digne
héritière de deux chasseurs de primes reconnus.
Elle avait toujours adoré ses parents, Sayana et I’chil. Depuis sa plus tendre enfance ils lui avaient appris à se servir de sa petite taille comme atout. La furtivité, la souplesse, le silence, l’agilité, elle leur devait tout cela. Mais ils étaient endettés et vivaient dans la
pauvreté, et quand ils se firent tués lors d’une mission commune, ce jour là, son regard perdit toute humanité, et elle n'eut d'autres choix que de prendre la relève. Elle tua sans compassion l’homme de plus de trente ans
son aîné qui les avait tués. C’était sa première victime. Elle fit rapidement ses
preuves auprès de la clientèle, et malgré ses seize simples années dans ce
monde, sa renommée allait croissante.
Un jour, Klaus, un homme dragon et tueur à gage eu vent de ces exploits. Et
pour la tester, il se déguisa et passa un contrat avec elle : elle devait éliminer« le dragon ». Le combat fut rude, mais Klaus
l’emporta évidement avec facilité, il lui laissa le choix : La mort ou devenir apprentie. Eliwan accepta son offre et passa un contrat dont elle n’avait
pas l’habitude : devenir pendant trois ans l’élève de Klaus. Son apprentissage fut
long et difficile, elle tua, beaucoup. En utilisant une multitude de techniques
différentes, poisons, strangulations, décapitation, égorgement… Elle devînt
alors une professionnelle dans l’art du meurtre. Au bout de ces trois années, elle devînt l'associée de Klaus.
<<-Le tueur est bruyant, brutal, cruel. L’assassin est maître du silence
et des ténèbres, il fait preuve de précision et
de délicatesse. C’est un artiste. >> Lui disait son maître.
Son talent lui valut le surnom de la
« dernière ombre ». Les populations la craignaient. Elle était la main du crime, et c'est par elle que furent tués d'innombrable innocents que son maître ne pouvait exécuter en raison de la pitié qui l'animait. Quand elle fut prête, Klaus
partagea une partie de son pouvoir avec Eliwan, par le biais d’un rituel de
sang. Elle en ressortie plus forte et plus rapide, et ils développèrent tous
deux un lien psychique qui les unissait peu importe la distance. Son maître
était bel homme, mais jamais elle n’avait songé à le désirer. Apparemment, elle
n’était pas intéressée par ce genre de chose.
Il y avait quelques semaines, elle avait
signé un contrat avec homme gras, et débordant de richesse. Une histoire
d’héritage, encore. Il voulait se débarrasser de sa jeune sœur afin d’amasser
lui-même tout le butin. Elle avait longuement observée la jeune femme, et traînait à passer à l’acte. Elle l’avait vu, sortir de chez elle pour boire une
tasse de lait chaud. Elle avait regardé ses yeux violets et ses cheveux roses
foncés. Son allure et son regard était celle d’une femme, mais son visage et sa
façon de bouger évoquait une enfant. L’innocence incarnée. Au fur et à mesure
des journées, lors de son lait chaud
quotidien, son sourire et l’éclat de ses yeux disparaissaient. Puis un jour,
elle ne sortit plus. Will, sans doute le diminutif d'un prénom tel que Williana, ou Willi'irah, et c'était ce nom, qu'elle allait effacé du registre des vivants, ce nom, qu'elle oublierait peu de temps après le crime.
Eliwan avait assez attendu, et accroupie comme cela dans le froid, elle se
dit que plus vite le travail serait fait, plus vite elle pourrait retourner au
sud, de plus, la nuit était presque tombée, elle pourrait ainsi s’en aller sans
crainte. Ici, les ténèbres noyaient le jour en pleine après-midi. Elle plongea dans le vide, freina sa chute en agrippant
une pierre, et atterrit, sans bruit dans le sol enneigé. Elle avait patienté jusqu’à ce que le blizzard soit assez fort pour vite couvrir ses traces de pas.
Sa longue cape blanche volant derrière elle, elle rejoignit la maison de Will.
Elle se glissa contre le mur et le longea jusqu’à la porte d’entrée. Elle
fouilla dans les poches internes du vêtement blanc et en sortie du matériel de crochetage. Cette
cape était un présent de Klaus, qui adorait particulièrement ce genre d’habit
pour leur côté pratique. Et il avait enfin réussi à la convaincre d'en porter une.
Elle déverrouilla la porte avec rapidité, et glissa une main sous sa
cape afin de dégainer une dague d'argent. Elle prit une grande respiration et toute
humanité quitta son regard. Elle ouvrit la porte. Cette dernière ne grinça pas,
Eliwan l’avait huilée quelque jour plus tôt lors d’une absence de Will. Elle
entra dans la pénombre de la maison. C’était un salon, que seul le foyer dans
la cheminée éclairait. La pièce était vide, poussiéreuse et était bercée d’une
étrange odeur. Pensant la trouver là, Eliwan fut étonnée. Elle traversa la pièce et fouilla chaque recoin du rez-de-chaussée, sans la trouver. Alors elle se dirigea vers l’escalier.
Le lieu semblait désespérément vide, elle tendit l’oreille et resta immobile un
long moment. Là ! Elle avait entendu un bruit, une respiration saccadée.
Elle soupira de soulagement, il ne manquerait plus que la fille se soit
échappée ! Elle entama l’ascension de l’escalier en bois, elle se fit
légère et le sol ne craqua pas. Un couloir s’ouvrait devant elle, et seules
deux portes se présentaient, l’une en face de l’autre. Celle de droite était
fermée et plongée dans le noir, l’autre était entrouverte et une lumière claire
en fuyait. C’était de là que venaient les respirations, non, maintenant, il lui
semblait que c’était des sanglots. Posée devant la porte, sans y entrer, elle
en observa l’intérieur. Les yeux d’Eliwan s’écarquillèrent.
La fille n’était plus une fille. Sa belle chevelure rose d’ordinaire si bien
soignée c’était transformée une crinière indomptable. Dans ses yeux, brillait
une lueur désespérée et triste. Son maquillage avait coulé et formait
maintenant une nappe d’ombre sur son visage, lui donnant des airs de démon. Des
traînées de larmes noires striaient ses joues, comme les griffures d’une déception
trop forte. Ses lèvres étaient desséchées en raison de pleurs incessants.
Assise, le dos contre le mur, les genoux repliés contre sa poitrine, elle
fixait le vide, jetant fréquemment des regards méfiants autour d’elle, au bord
de la paranoïa. Ses avant-bras enlacés sur ses jambes nues et crasseuses,
étaient souillés de sang, et révélaient des cicatrices pourpres. Ses ongles,
rongés et noirs laissaient voir à quelques endroits les vestiges d’un vernis à
ongles rose, comme le souvenir d’une insouciance perdue. Autour de la fille, un
carnage. Les ruines d’une chambre couleur pastelles. Les meubles renversés. Le
papier-peint rose imprimé, déchiré. Les peluches et édredons, éventrés. Tel le
nid d’une enfance ayant trop durée.
Eliwan se reprit et poussa la porte, contre laquelle elle s’adossa sans
quitter la fille des yeux. Will ne semblait même pas étonnée. Elle redressa la
tête et soutint le regard de son assassin.
<<-Je vous attendais.>> Eliwan garda le silence. Elle ne devait pas
répondre. Elle ne pouvait pas communiquer avec les proies. C’était ainsi, dans le
but de ne pas être pris de compassion. Elle aurait dû y aller, l’égorger et
repartir. Mais elle resta immobile et silencieuse. La jeune fille reprit :
<<-Je vois… C’est donc vous, la tueuse que ce monstre a acheté ?
-Je ne suis pas une tueuse. Je suis une assassin, répondit-elle trop vite.
-Oui, oui, cette histoire de dernière ombre. Vous vous rendez compte ? Il
s’en vante. Partout, il raconte qu’il a embauchée la main du dragon. Dans cette
contrée aussi machiste, il se vante d’avoir
employé une femme pour tuer sa propre sœur !>>
La fin de sa phrase avait été entrecoupée par des sanglots violents. La rage et
la déception avaient envahi sa gorge, et elle peinait à reprendre sa respiration.
<<-Et bien ? Qu’attendez-vous ? Tuez-moi, vous pourrez avoir
votre argent. Après tout, vous ne valez pas mieux que lui, sanglota-t-elle.
>> Elle ne jouait pas la comédie, comme nombre des victimes précédentes d’Eliwan.
Dans ses yeux brillait un réel trouble, une réelle peur, et surtout, une
rancune amère et brutale. La tueuse n’agissait toujours pas. Ce n’était pas par
sadisme de voir sa victime attendre la mort, mais par un sentiment qu’elle n'osait s'avouer. La compassion l’avait prise, et elle luttait contre elle. Elle
avait des engagements, des contrats, elle ne pouvait pas se permettre de
faiblir.
<<-Je l’aimais ! Je l’aimais !! La différence, c’est que moi, j’aurais
donné toutes mes richesses pour le sauver. Lui, il me tue pour me voler !
Hurla-t-elle. Que dis-je ?! Ce n’est pas lui qui me tue ! Non !
Il vous envoie ! Mon frère… Un lâche…>> A nouveau, elle éclata en
pleurs, et Eliwan ne cilla pas. La scène était désastreuse. Elle s’approcha
alors et s’accroupie à deux mètres d’elle, dague en avant.
<<-Je n’ai pas besoin de cet argent, prenez le, donnez le lui, il
faudrait être bête pour accorder ne serait-ce qu’une admiration à la moindre
pièce.
-Je n’ai pas commencé à tuer pour avoir de l’argent. Je l’ai fait pour
rembourser les dettes de mes parents morts. Et croyez-moi, quand vous n’avez
rien. Que vous arpentez les rues à la recherche d’une âme généreuse dans le
froid, et que vous ne récoltez que des moqueries… Votre corps s’affaiblie,
votre moral aussi, et parfois il peut arriver qu’une simple pièce face la
différence, entre la vie, et la mort. >>
Will écarquilla les yeux. C’était la plus longue
tirade de sa meurtrière. Et elle l'avait prononcer d'un ton si neutre que s'en était troublant.
<<-Je ne veux pas de cet héritage. Je ne veux pas de pouvoir… Je voulais
juste un frère…>> Dit-elle, ses yeux violets fixés sur la tueuse.
Cela faisait plusieurs minutes qu’Eliwan avait remarqué une odeur étrange, et
maintenant elle prit garde à la température, qui avait considérablement
augmentée. Elle écarquilla les yeux, non, elle devait faire erreur. Remarquant ce brusque changement de regard, Will dit:
<<-Vous ferriez mieux de quitter vite ses lieux, dernière ombre. C’est du
bois de bliria qui brûle dans la cheminé. Je pensais que vous arriveriez plus
tard, et que vous n’auriez eu que le bon loisir de constater qu’un incendie
avait fait votre travail. Mais à l’heure qu’il est, le rez-de-chaussée doit
déjà être envahi de flammes. Je vous ai vu descendre de ce bâtiment, en face.
Si vous passez par la fenêtre, vous serez sauve. Et vous récolterez votre
argent sans prendre la peine de vous salir.>> Eliwan se releva d’un bond.
Le bois de bliria était réputé pour donner aux flammes un appétit monstrueux et
sans fumée, qui permettait de provoquer des incendies avec une rapidité
effrayante. Elle courue vers la porte de la chambre, et en effet, l’escalier
était déjà consumé, et cela se propageait rapidement. Elle se précipita vers la
fenêtre qu’elle ouvrit. Elle jeta un regard derrière elle, les murs de la
chambres commençaient déjà à noircir, et en un temps fou, des flammes léchèrent
les bords de la chambre du sol au plafond. Elle enjamba la fenêtre, s’apprêta à
sauter quand une odeur de chair brûlée l’interpella, encore un regard en
arrière. Will, tremblant de tout son corps regardait le feu de propager le
long de son bras, rongeant sa peau. Le cœur battant, Eliwan fut prise d’une
hésitation. Elle tremblait elle aussi, les flammes se rapprochaient de la
fenêtre mais elle était incapable de s’enfuir. Will se tordait de douleur au
sol, au bord de l’inconscience, mais sans pousser le moindre cri. Une telle
dignité ne put que convaincre Eliwan. Celle-ci remonta dans la chambre, évita
les flammes jusqu’à la fille, et l’agrippa là où elle ne brûlait pas. Elle la
souleva et sans attendre, plongea par la fenêtre un instant avant que la
chambre fut totalement prise par l’incendie. Dans les airs, elle puisa dans le
plus profond point d’encrage avec son maître, Klaus, et l’étira au maximum,
drainant son pouvoir. Elle avait placé la fille au-dessus d’elle, et la tenait
fermement.
Impact.
…
Elles avaient toutes deux atterries sur le sol blanc, grâce au temps, la couche
de neige avait amorti le choc, même si celui-ci était resté violent. Eliwan,
endurcie par les pouvoirs de son maître pu se redresser tant bien que mal. Elle
semblait intacte mais elle sentait d’énormes hématomes se former sur son dos. Sa
respiration haletante, elle tira Will plus loin, en sécurité, elle prit sa cape
et en entoura la fille dont les yeux restaient entrouverts et les larmes abondantes.
Le froid avait calmé la douleur de ses brûlures, et malgré ses pleurs, elle put
distinguer le visage inquiet de son
assassin, puis sa maison en flamme. Elle s’écroula, et le noir fut
total.
~
J'adore, j'ai été littéralement emporté par la lecture, c'est fameux comme récit ce que t'écris ^^.
RépondreSupprimerJ'ai trop hâte de lire la suite ^_~